Srijeda, 13 studenoga, 2024

La nécessité de l’opération Tempête pour prévenir les mythes et l’idéologie de la Grande Serbie (réponse à Slobodan Despot)

Vrlo
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On pourrait paraphraser Julien Green et dire que les faits historiques ont disparu et que les mots vont à pied. Voilà tout le drame de Slobodan Despot, auteur de l’article « Expulsion des Serbes de la Krajina : ce miroir que l’Europe préfère briser », qui laisse ses mots aller à pied en supprimant tout un fil contextuel et historique.

Son interprétation de l’opération Tempête, menée par l’armée croate en août 1995 pour libérer les zones occupées depuis 1991 par les troupes serbes coordonnées par Belgrade, ne fait que constituer une pièce, très pointue, de la mosaïque de la mythologie des héros et martyres serbes.

_______ Auteur: Ivan Pepic | poskok.info

En effet, dans son texte, Despot, saute intentionnellement de l’année 1995 aux années durant lesquelles les Serbes « versaient leur sang à flot continu pour contenir l’avancée des ottomans ». Bref, il nous fait savoir qu’en Krajina, ancienne frontière croate de l’Empire Habsbourg avec l’Empire Ottoman, les Serbes, qui luttaient contre les Turcs, ont eu « une histoire glorieuse et atroce, qui s’en est allée on ne sait où avec ces paysans juchés sur leurs tracteurs, le 4 août 1995 ».

Mais, que s’est-il passé après l’arrivée de Slobodan Milosevic au pouvoir en Serbie ? Et après la chute de communisme yougoslave, de 1991-1995 ?

 

La « Krajina » de Despot et la mosaïque des mythes serbes

Despot reste silencieux à ce sujet, afin de ne pas détruire la mosaïque des mythes serbes dont les racines prennent pied le 28 juin 1389 (jour de Vidovdan), quand l’armée serbe était conduite par le prince Lazar, qui a été vaincu, et le chevalier Milos Obilic, qui fut décapité après avoir tué le sultan turc Mourad Ier lors de la Bataille de Kosovo Polje. Toutefois, la mort du sultan n’a pas empêché l’Empire Ottoman d’occuper les terres Serbes.

Pour tous les Serbes, Obilic est le symbole du sacrifice pour la patrie. Pour reprendre Despot, « [c]es hommes préféraient leur liberté à la vie même ». Le mythe de la Bataille de Kosovo Polje a été transmis de génération en génération afin de mobiliser les masses contre l’oppresseur ottoman.

Cinq siècles plus tard, les révoltes serbes (1804-1815) ont mené à l’autonomie de la Serbie d’abord sous forme de principauté (1815-1882), puis de royaume (1882-1918). C’est à ce moment-là que le mythe des Serbes comme « peuple céleste » qui ressuscitera est né. Pour réussir, il fallait maintenir ces mythes : transcrire l’histoire dans l’idéologie, passer de l’idéologie au nationalisme de masse, puis institutionnaliser tout cela sous forme de politique étatique, avec une fin claire : la Grande Serbie, dont les frontières passeraient par la Bosnie-Herzégovine jusqu’à la Mer Adriatique.

Pour accomplir cette tâche, écrivains et poètes ont été mobilisés. C’est notamment le cas du premier ministre Ilija Garasanin, auteur de Nacertanije (1844), un document de politique étrangère qui prévoyait la domination et l’expansion de la Serbie, avec le support d’un vaste réseau d’agents, dans les anciennes terres ottomanes et habsbourgeoises (lire : Bosnie-Herzégovine et Croatie). Ou encore, Vuk Karadzic (1787-1864), réformateur de la langue littéraire serbe, auteur de « Serbes, tous et partout », selon lequel les Croates n’étaient que des Catholiques serbes refusant d’admettre ce fait.

Chacun de ces auteurs portait avec ou évoquait directement le sacrifice de Milos Obilic. Coïncidence, c’est le jour de Vidovdan que l’archiduc François-Ferdinand fut assassiné à Sarajevo en 1914. C’est aussi sur ces bases que sont nées et se sont développées les deux Yougoslavie (1918-1941, 1945-1990). Pour ce qui est de la première Yougoslavie, l’un de ses formateurs, Nikola Stojanovic, écrivait en 1902 : « Telle est l’importance de la Bataille de Kosovo Polje, en ce sens, la défaite serbe au Kosovo signifie une grande victoire » et, en même temps, qu’il fallait « serbifier » les Croates dont une partie, disparaîtrait selon le « processus de l’évolution. » Plus tard, Alain Finkielkraut comprenait la raison croate et paraphrasait les propos tenus sur les Russes par Karel Havlicek en 1844 : « Les Serbes aiment appeler slave tout ce qui est serbe pour pouvoir nommer serbe tout ce qui est slave. »

 

La Grande Serbie en pratique

L’idéologie de Blut und Boden, résumée dans l’idée de la Grande Serbie, a été reprise par Slobodan Milosevic. Le leader serbe, exactement 600 ans après la Bataille de Kosovo Polje, a organisé le rassemblement de Gazimestan, où un million de Serbes s’est réuni pour y prendre part. Milosevic a évoqué la grandeur de Milos Obilic et, surtout, a harangué la foule en n’excluant pas les « batailles armées ». Dans le même temps, l’Église orthodoxe serbe organisait le transport des reliques du prince Lazar au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine et en Croatie. Le clergé orthodoxe jurait dans des discours que la Serbie ne serait jamais vaincue et que la Serbie inclut toutes les régions dans lesquelles il y a des tombes serbes.

Le communisme étant mort, la Croatie a déclaré son indépendance après ses premières élections multipartites et le référendum sur l’indépendance, respectivement en mai 1990 et en mai 1991. La population serbe, instrumentalisée par Milosevic et ses agents (comme ceux de Garasanin un siècle plus tôt), décide de ne pas suivre la volonté démocratique de la Croatie. En mai 1991 les leaders Serbes ont organisé un référendum illégal sur l’indépendance de la « Krajina ». La population était contraire à l’indépendance de la Croatie et a choisi, comme ils le disaient, de « vivre sur territoire serbe[en Yougoslavie]. »

Toutefois, la Croatie propose aux Serbes le poste de vice-président du parlement croate (en mai 1990), mais aussi plus d’autonomie (en mai 1992). Cela ne suffisait pas, car les Serbes de Croatie, avec le soutien des leaders militaires politiques de Serbie, ont décidé d’ériger des barricades et de raser les villes croates, notamment Vukovar, lieu de l’agression la plus féroce après la Seconde guerre mondiale, afin de vivre sur territoire serbe.

Vukovar était l’ouverture de l’agression serbe en Croatie, puis en Bosnie-Herzégovine. Ont suivi les massacres de Skabrnja, Vocin, Dalj, Tovarnik, Tordinci, Slavonski Brod, et tant d’autres. Mais aussi, l’occupation des territoires de la République de Croatie, avec l’instauration de l’entité autoproclamé République serbe de Krajina (SAO Krajina).

De Despot on n’a rien pu lire sur les crimes serbes dans les zones occupées par cette entité illégale et illégitime. Ces crimes, avant l’opération Tempête, de 1991 à 1995 ont porté à 500’000 le nombre de Croates déplacés à l’interne, 6’300 civils croates tués, dont 402 enfants et encore 1’260 autres enfants blessés. Le 15% des maisons ont été détruites, et sont toujours en reconstruction par l’État, qui a dû attendre 15 ans pour rattraper les chiffres économiques d’avant-guerre.

Les mots de Despot, qui vont à pied car il oublie les faits, ne disent rien des tortures physiques sur des milliers des Croates sous l’occupation des Serbes de SAO Krajina.

 

L’évacuation serbe avant la Tempête

Quant à l’opération Tempête, ce n’était rien qu’une opération militaire d’un État souverain, après cinq longues années de souffrance, quand la République de Croatie a décidé de libérer et reprendre le contrôle des territoires occupés par un système barbare, sauvage et pouilleux, instauré par les Serbes de Croatie, guidé par Belgrade, et qui sera le plus brutal en Europe après celui des Nazis. L’entité fantoche, en effet, était le résultat de l’institutionnalisation systématique, à des fins impérialistes, des mythes serbes.

Quant à « la plus vaste opération de nettoyage ethnique en Europe depuis 1945 [qui] a vingt-cinq ans », comme soutenu par Despot, aucun document et aucun témoignage, mis à part ceux pour construire la mosaïque mythologie des martyres serbes, comme lors de la Bataille de Kosovo Polje, ne le prouve. Les leaders militaires et politiques croates ont à maintes reprises cherché des solutions pacifiques, comme le Plan Z-4 donnant pleine autonomie aux Serbes en Croatie. Mais rien n’a empêché les leaders de la SAO Krajina de vouloir faire union avec Belgrade.

En outre, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), qui s’est penchée sur le cas de l’opération Tempête, a estimé que 95% des obus utilisés lors de l’opération étaient destinés à détruire des cibles militaires. De plus, les documents sur cette opération militaire démontrent que ce sont les leaders Serbes qui ont pris la décision d’évacuer la population serbe de Krajina.

En effet, le président de la SAO Krajina, Milan Babic, est paru devant le TPIY « avec un profond sentiment de honte et de remords ». Selon ses propres mots : « Je me suis permis de participer à la pire persécution contre les gens parce qu’ils étaient Croates, et non Serbes. Des innocents ont été persécutés, chassés de leurs maisons et tués ». Le TPIY a démontré, en se basant sur les documents de l’ONU et des autorités serbes, que les leaders serbes ont ordonné l’évacuation à leur propre population le 4 août 1995. Quelques semaines auparavant, les leaders militaires serbes ont fait un exercice d’évacuation de la population. Cette dernière a décidé de suivre les consignes de Slobodan Milosevic au lieu de rester sur le territoire de la République de Croatie.

Un quart de siècle après l’opération Tempête, la Croatie continue à être ouverte aux Serbes. Le vice-président du gouvernement croate, qui est d’ethnie serbe, était présent à la célébration du Jour de la Victoire le 5 août, en mémoire de la libération de Knin, épicentre de la SAO Krajina. Toutefois, aucune réconciliation ne sera possible si les Serbes continuent de suivre les maîtres de la Grande Serbie, dont les racines se trouvent dans les mythes de Milos Obilic et Vuk Karadzic.

L’un des maîtres de cette idéologie étant l’actuel président serbe Aleksandar Vucic, qui quelques semaines avant l’opération Tempête incitait les Serbes, s’exclamant à Glina, ville croate sous occupation serbe : « La Krajina serbe, Glina ne sera jamais la Croatie, Banija ne reviendra jamais en Croatie… vous savez que vous vivrez en Grande Serbie, un seul État serbe. »

Martina

Grâce à Despot on sait que Suzana avait été exfiltrée des zones de combat par la Croix-Rouge deux ans avant l’opération Tempête. Puis, pendant l’opération, elle a quitté la Croatie, et maintenant elle mène une vie normale et a un emploi digne.

Martina Stefancic, à l’inverse, a été tuée à Borovo Selo, village sous occupation serbe. Elle avait quatre ans. Martina dormait, quand dans la nuit du 20 au 21 mars 1992 quatre soldats sont entrés dans sa maison. Elle s’était brusquement réveillée. Sans aucun motif, sans jamais donner d’explication, ils ont tué Martina et sa grand-mère, avec sept projectiles d’arme à feu. Martina n’a pas eu la chance d’être exfiltrée de la zone d’occupation par la Croix-Rouge, car cette organisation a été expulsée par les généraux serbes quatre mois auparavant, quand 265 civils, blessés, prisonniers et médecins ont été emmené de l’hôpital de Vukovar et tué à Ovcara.

La fin de la barbarie, celle qui a tué Martina, est l’une des raisons pour laquelle la Croatie célèbre et célèbrera l’opération Tempête, toujours en espérant que les mythes sur la résurrection du « peuple céleste » serbe et les « hommes [qui] préféraient leur liberté à la vie même » avec « une histoire glorieuse » ne seront plus jamais l’arme de combat impérialiste serbe. Martina, aussi, avait le désir de vivre.

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